Il ne cesse de dessiner des meubles, qu’il expose sur la terrasse de sa galerie, le Quatorzerohuit.
Sa personnalité.
Au premier abord, il a l’air grincheux et un peu méfiant. Pour décrire son parcours, il parle d’un « autre monde ». On dirait une histoire de science-fiction que le designer sénégalais écrit à coups de crayon depuis le début de sa carrière, en 1990.
« Ce monde est dirigé par la Wané Corporation. Wané? En Wolof, c’est quelqu’un qui met un peu plus de tire pour atteindre son but », nous déclare-t-il avec un sourire de petit garçon.
Car, avec sa barbe, un cordon orange de ses lunettes, son tee-shirt de Djib Anton, et son bracelet en argent, Bibi Seck a fait du « style » un mode de vie. Il est une figure du design au Sénégal, mais aussi en Europe et aux États-Unis à cause du design de ses meubles et ses conceptions d’aménagements extérieurs.
Que se soit Toyota, Herman Miller, Hewlett-Packard ou encore Moroso, il collectionne de prestigieuses collaborations depuis une vingtaine d’années et des tas de prix aussi.
« J’aime dessiner, c’est une obsession, martèle-t-il. J’illustre ce que j’ai dans ma tête. C’est comme si j’avais une vie parallèle », a t-il déclaré.
Cette obsession est visible dans sa galerie, située à Dakar, la capital sénégalaise, à deux pas de la place de l’indépendance. C’est une ville où il a grandi après avoir vu le jour à Paris en France. Son nom le Quatorzerohuit est ainsi en référence à ses jour et mois de naissance, les mêmes que celui de l’homme d’affaires et ami Oumar Sow, propriétaire des lieux.
Un grand espace dans lequel chaises, tabourets, tables et autres fauteuils colorés sont exposés en majesté, aux côtés d’autres créateurs, dont son fils.
Discipline, équité, recyclage.
Bon nombre de pièces imaginées par Bibi Seck, qui sont issues de la collection Taboo, se distinguent par leurs singularité frappante. Elles ont été fabriquées à partir de bouteilles en plastique qui inondent les rues de la capitale. Concevoir des objets esthétiques en misant sur le recyclage des déchets omniprésents dans le décor sénégalais a valu à Bibi Seck le surnom d’apôtre du « design équitable ».
Une expression qui semble l’amuser.
« Le design est avant tout une discipline au service des autres. Et celle-ci a comme mission de trouver des solutions au quotidien. Il n’y a rien de compliqué. »
Ses créations ont en commun une courbe. « Entre deux points, le plus court chemin, c’est la droite. Mais le travail du designer, c’est de rendre ce chemin plus intéressant », explique-t-il.
Un geste qui se distingue clairement sur ses meubles.
Comme par exemple, le fauteuil à bascule conçu en 2017 pour Ikea et encore plus sur le Bayekou, le Nopolou ou le Toogou, noms d’assises en forme de boucles virevoltantes.
« Je vais à l’essentiel. Au premier coup d’œil, mon mobilier paraît simple car ma volonté est de proposer des formes qui soient intemporelles et facilement mémorisables. Même un enfant devrait pouvoir les redessiner. Une de mes préoccupations est de démocratiser le design », dit-il.
Les courbes de Bibi Seck se voient aussi sur ses peintures accrochées aux murs de la galerie : des visages tordus, des corps ondulés, notamment de femmes, des crapauds aux pattes disproportionnées…
Un destin tracé.
Milieu des années 1980. Bibi Seck suit une prépa à Paris pour entrer dans une école d’ingénieurs : son père, diplomate sénégalais, veut qu’il devienne architecte. Ça tombe bien, il tient à faire un métier en lien avec le dessin.
« Je me balade dans le Marais et je passe devant une école de design. Je ne connaissais rien à cette discipline, pas même Philippe Starck, se souvient-il. Quand j’en ai parlé avec mon père, il m’a dit “Je ne veux pas de rastaman dans la famille. J’ai fini par le convaincre », explique t-il.
Juste après ses études, Bibi Seck est recruté, en 1990, par Renault à la direction du design. On lui doit les intérieurs de quelques modèles de la Scenic, de la Twingo ou du Trafic.
Il est le premier Africain embauché dans cette branche, mais ça n’a pas d’importance : « Il n’y a rien eu d’Africain dans mon travail avec Renault, souligne-t-il. Le design n’a pas de frontière. C’est sa force. »
Soulignons également que après quatorze années au service du constructeur automobile français, il a ouvert en 2004 avec son épouse une agence de design baptisée Birsel + Seck basée à New York, avant de revenir vivre au pays. A Dakar, il collabore avec de milliers d’artisans qui, avec peu de moyens, arrivent à sublimer le bois, le plastique et le métal.
Ainsi, au Sénégal, comme dans le reste du continent, les capacités industrielles pour fabriquer du design sont inexistantes, alors, lorsqu’il passe une commande, cela ne peut être que pour quelques pièces. En travaillant avec eux, Bibi Seck pousse ces artisans à valoriser leur savoir-faire.
« Je ne veux pas qu’on profite de leur précarité. Il faut arrêter avec ces pratiques. Il faut les rémunérer au plus juste, tonne-t-il. Pour moi, le développement du pays ne peut pas se faire sans les artisans et la mise en valeur de leur travail. »
Il y a un rêve qu’il aurait voulu réaliser à Dakar : ouvrir une école de design. Une école capable de formaliser l’informel.
« Tous les Sénégalais sont des designers. Ils ont une force créative sans avoir eu de formation académique, fait-il remarquer. J’aimerais bien qu’une telle école existe, mais c’est à la nouvelle génération de s’en occuper, celle qui a entre 20 et 30 ans, pas à moi. Je veux me consacrer à mes tableaux », nous confie t-il.
Se rendre compte que l’Afrique possède un tel potentiel dans tous les domaines, et principalement dans l’art, est une preuve de notre savoir faire. Aux africains de démocratiser ce métier, celui de designer. Car l’art c’est l’Afrique, l’art c’est le monde.