Il y a une vraie hype autour du mariage: 3 publications sur 4 parlent de relations homme-femme; 9 films africains sur 10 sont centrés sur les relations amoureuses; même lorsqu’il y a un éclat de voix à un carrefour, si ce n’est pas un problème avec un taxi ou une moto, alors il s’agit d’un couple marié qui se donne en spectacle.
A chaque fois qu’il y a l’émergence et la popularité de phénomènes atypiques, c’est presque toujours le signe d’un problème profond.
Pour revenir même à l’incident de Nkolbisson, peu importe les versions publiques, il subsiste dans l’air la question que tout le monde se pose : Ne se sont-ils pas entendus depuis? C’est comme si l’un des conjoints se trouvait le jour-j surpris d’avoir signé en ‘bien séparé’.
En plus que le contrat de mariage au Cameroun est clair, précis, et connu des deux mariés au moins 6 semaines avant le début de quoi que ce soit. Voici un lien que j’ai trouvé à ce sujet.
Je ne vais pas vous expliquer quelle est la VRAIE version de ce problème, ni qu’une des belles familles voulait humilier l’autre. Cela, vous l’avez déjà vu dans des dizaines de publications. Je ne ferais pas comme si subitement je les connaissais depuis, ou que je connais la vérité. À la place, je vais plutôt parler des déterminants profonds qui expliqueraient toute cette agitation permanente autour du mariage et comment il a évolué jusqu’à aujourd’hui.
Vous allez voir que le problème revient à bien plus longtemps que 2021 et que, comme dans toutes les religions, il y a des dérives et des gourous.
Si cette publication est beaucoup vue, alors il y aura une deuxième partie sur l’avenir selon moi du concept de mariage en Afrique.
I. L’essor du mariage
I.1. Le concept de mariage dans la civilisation humaine
Vivre en civilisation signifie vivre avec les autres. On est donc obligé de sacrifier un peu de notre liberté pour le bien commun. Genre imaginez à quoi ressemblerait la vie en société si, comme au GTA (Grand Thief Auto), chacun pouvait sortir de chez lui, frapper sur tout le monde, vandaliser des motos et bruler des voitures.
Du coup, le concept d’Etat-Nation va s’imposer comme l’entité ayant le monopole de la violence légitime pour permettre une vie commune.
Vous avez donc vu le gros problème qui se pose immédiatement: l’amour. Ou plutôt la passion amoureuse. En effet, lorsqu’on se dit amoureux, c’est juste parce que le cerveau produit de la dopamine (hormone du plaisir), de l’ocytocine (hormone de l’affection) et de l’adrénaline (hormone de l’excitation). Oui, vous avez bien lu, c’est juste une réaction chimique!
Le problème c’est que comme Freud disait, la pulsion sexuelle est une des forces les plus puissantes qui nous anime. Et pour lui, cette dernière est à l’origine d’absolument tous nos comportements : désir d’élévation sociale, désir de reconnaissance, désir de richesse, etc…
Si chacun cède donc à ses pulsions sexuelles, il règnera un chaos ambiant. Raison pour laquelle les civilisations vont décider de proposer un cadre unique dans lequel celles-ci peuvent s’exprimer sans retenue. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le mariage.
I.2. Le mariage chez les Grass Fields
Une fois que le concept de mariage est accepté de tous; pour qu’une vie en société soit possible, il faut maintenant déterminer le type d’association autorisée.
Depuis l’établissement des populations Grass Fields aux alentours du Noun au Cameroun, le mariage était monogame pour tous sauf les grands dignitaires. La polygamie est devenue alors le signe du pouvoir et du prestige.
Malheureusement, la traite des esclaves mettra fin à cette fête. De nombreux futurs esclaves ont été violemment retirés de leur famille; et c’était bien entendu des hommes pour leur force physique qui étaient en grande majorité enlevé pour devenir esclaves en Amérique.
La conséquence de cela était une surabondance des femmes auprès des Grass Fields restant. Ils ont donc pris la décision la plus logique: démocratiser la polygamie. De cette manière, le peuple pouvait se reconstruire en richesses humaines (pour le dire comme ça), et une guerre de mariage absurde n’aurait pas éclaté entre des femmes.
I.3. Le mariage aujourd’hui en Afrique
Essentiellement, les enjeux ne sont plus les même aujourd’hui en 2021. C’est la fameuse loi de l’offre et de la demande appliquée à la théorie du mariage: Aujourd’hui, il y a à peu près autant d’hommes que de femmes. C’est pour cette raison que les femmes peuvent se permettre aujourd’hui des réflexions du style: ‘Est-ce que les hommes sont finis?’
A l’époque bien entendu, ce genre de raisonnement menait presque à coup sûr vers la solitude parce que si un seul garçon vous avait fait le plaisir de s’intéresser à vous et qu’il n’avait pas encore atteint le quota d’épouses, alors il fallait tout faire pour conserver cette place privilégiée. Et ce n’est pas très étonnant que même à cette époque et même avec la polygamie, l’infidélité était toujours d’actualité.
Mais à quel moment est-ce que la monogamie a commencé à prévaloir à nouveau ?
Le shift de paradigme a commencé pendant la colonisation avec l’introduction du christianisme.
Il faut savoir que l’une des plus grandes difficultés pour l’insertion du Christianisme était justement… (roulement de tambours), la polygamie. Les africains auraient été prêts à abandonner leurs cranes, leurs ancêtres, mais la polygamie nonnn!
C’est là donc qu’a débuté le clash des générations entre d’une part l’ancienne génération qui voulait rester dans les coutumes ancestrales de la polygamie légale; et d’autre part les jeunes (surtout femmes probablement) qui adoptaient les préceptes nouveaux du Christianisme.
C’est typique de l’évolution des sociétés: des concepts sont créés pour résoudre un problème bien précis à une période donnée, ils se battent à travers le temps pour survivre, et puis finalement ils demeurent sans que plus personne ne sache vraiment pourquoi.
Un exemple de cela est la mort du roi Tsongor: Sango Kerim et Kouame sont deux rois de peuples prêts du désert du Sahara et tous deux prétendants d’une jeune fille: Samilia fille du roi Tsongor. Les deux meurent donc dans une guerre absurde. Le pire c’est qu’après leur mort, les habitants de leurs peuples respectifs se sont entretués sans savoir pourquoi. Ils se sont détestés ainsi pendant 1 siècle sans non plus savoir pourquoi.
II. Le mariage comme religion
Toutes les religions n’ont pas un ou plusieurs dieux à vénérer. Le bouddhisme par exemple est une religion basée sur la recherche de soi ; et certaines philosophies de vie comme le stoïcisme ont beaucoup d’éléments proches d’une religion.
II.1. Le mariage est une fin en soi et la promesse du salut
Lorsqu’une femme atteint un certain âge et n’est pas encore mariée, elle est vue par celles qui ont eu la chance de l’être comme une personne inachevée. Dans leur regard, on peut presque lire : ‘’Wehh, ce n’est pas grave. Ton tour viendra, un peu de persévérance et tu auras toi aussi les clés du paradis’’. C’est presque comme si la non-mariée, était impure.
On associera presque toujours les raisons du célibat à un des péchés capitaux : ‘’Tu es trop orgueilleuse’’; ‘’Tu cherches l’homme le plus riche’’; ‘’Il ne faut pas envier les maris des autres’’; ‘’Tu es trop paresseuse, une vraie femme s’occupe de la maison’’ ; etc.
Pendant que la bonne femme mariée n’a que des vertus : ‘’Elle est naturelle’’, ‘’Elle se contente de ce qu’elle a’’ ; ‘’Elle est fidèle’’ ; etc.
Et même le fait d’être non marié est une injure: on parle de ‘’Mourir vieille fille’’.
Là on est bien loin de la considération d’origine du mariage qui était de créer un cadre pour éviter l’anarchie ; là le mariage est le but d’une vie, un but à atteindre, et les individus qui n’ont pas atteint ce statut sont inachevés, la risée de tous, et impurs.
La conséquence de tout cela c’est que les fidèles feront alors tout pour atteindre le salut, et que ce soit en souillant leurs corps, en demandant des conseils aux experts ou bien même en recourant à des pratiques occultes. Ce qui nous mène à la deuxième partie :
II.2. L’apparition des Gourous
C’est la pièce manquante : Il faut des individus qui vont porter la religion; des individus qui vont montrer le chemin et la bonne nouvelle pour atteindre le Salut.
Pas besoin de les citer car vous les connaissez déjà. Sur les réseaux sociaux il y a les stars dans ces domaines, et hors des réseaux on a les marabouts.
Ce qui est intéressant ici, c’est que les statistiques d’adhésion par sexe sont proches voir même pires dans les religions classiques.
Je dis ça parce qu’on pourrait avoir l’impression que ce texte parle uniquement du point de vue des femmes, mais c’est juste parce qu’elles sont en réalité plus nombreuses à être affectées.
La réalité c’est que ces gourous ne font rien d’autre qu’exploiter un marché qui est déjà présent et qui est entretenu par l’industrie du mariage géré notamment par les Télénovelas, les marques de lait de toilette, les cartes de vœux, les chocolateries, etc…
III. Le problème de la place du mariage dans l’éducation
III.1. Les parents et l’école fuient le débat
Il y a quelques années, le livre Excellence de sciences de la vie et de la Terre de 5ème a proposé un contenu assez explicite sur la sexualité provoquant l’indignation générale. Ils étaient accusés de présenter aux enfants des images obscènes et peu appropriées. C’est à cause d’un biais cognitif qui s’appelle le signalement de vertu qui est l’expression de valeurs morales avec pour but principal de renforcer son propre statut social au sein d’un groupe social. C’est pour cela qu’il y a tant de plaintes sur les réseaux sur les jeux de hasard, les contenus pour adulte, la drogue, etc; mais qui ne font qu’en réalité mettre de l’huile sur le feu et rendent ces concepts plus populaires. Le problème du signalement de vertu c’est qu’il nous empêche de tacler véritablement le problème.
Je reconnais que j’étais également dans cette posture vis à vis de ce livre à l’époque, mais depuis le temps, mon opinion s’est un peu moins radicalisée.
Les enfants sont jeunes, innocents, et juste entrain de vouloir découvrir la vie. Mais nous on se comporte comme si par magie ou intuitivement ils devraient apprendre tous ces concepts délicats sans que personne ne leur dise rien, comme si c’était le cas pour nous même.
Le nouveau-né débarque neuf, et expérimente les sensations: sa bouche est un vrai laboratoire ; ses mains veulent apprécier la douceur du feu; il observe le monde avec un grand regard étoilé.
Et bien entendu, il veut aussi comprendre la biologie interne de ses hormones et pourquoi il ressent ce qu’il ressent. Son premier contact avec la sexualité débute lorsqu’il tète le sein de sa mère et lorsqu’il commence à se laver tout seul (vers 3 ans). Mais s’il ose poser la moindre question sur ses parties intimes, au mieux il n’a droit à aucune réponse satisfaisante, et au pire il est insulté et/ou traité de tous les noms.
Le problème c’est que le jeune a besoin de réponse à ses questions. Et dans notre contexte, il trouvera une partie de la réponse chez ses camarades de classe, et une autre dans le cinéma.
Le problème du cinéma justement c’est toujours cette vision du mariage comme une religion : le but de cendrillon est d’épouser le prince, pareil pour blanche neige, etc.
Lorsque la plupart des films se termine par ‘’Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants’’, ça envoie le signal que la quête de tout, et le salut se trouve dans le mariage. Le fameux »Happy wife, Happy life » des américains. Et c’est le modèle de vie avec lequel grandisse les enfants.
Et tout ceci c’est la faute du silence des parents et des écoles ce qui peut conduire à des dérives très graves.
Au final, l’approche du livre Excellence dans le fond n’était peut-être pas complètement à jeter à la poubelle, mais ils auraient pu s’y prendre différemment pour ne pas entrainer cette polémique. C’est bien entendu facile de dire quoi faire après coup, mais il semble qu’il aurait été plus astucieux de proposer ce genre de contenu en classe de Terminale en premier; et quelques années après, en classe de première, etc. Pour éviter une confrontation trop brutale aux pensées ambiantes préexistantes.
III.2. Risque de sexualité désordonnée
Hormis le phénomène de plus en plus récurrent des enfants qui accouchent des enfants, il y a aussi le problème des agressions sexuelles.
Prenez avec des pincettes ce qui va suivre, mais j’ai l’impression qu’on oublie souvent à cause du choc émotionnel et de l’indignation provoquée que les agresseurs sont des gens ; et donc qu’ils ont des parents, et ont reçu une éducation.
Les études montrent aujourd’hui que le comportement des jeunes dans leurs relations est souvent assez proche de celui de leurs parents. Par exemple, un homme violent à la maison a des chances d’avoir un père qui l’était aussi.
Ceci prouve quand même que l’éducation reçue façonne les comportements. Et du coup, en abandonnant un jeune à s’éduquer n’importe comment, il peut devenir un déviant. C’est bien entendu la faute du coupable ; cependant les parents et leur silence ont aussi un rôle à jouer dans l’expansion de ce fléau.
IV. Conclusion
J’aime bien parler de productivité, d’orientation académique et de thèmes liés à l’éducation.
Mais la thématique du mariage a été abordée aujourd’hui car c’est une grande distraction et c’est devenu une industrie qui brasse des milliards.
Portez vous bien.
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