Mis à part sa haute taille et son tempérament de meneuse la camerounaise Marthe Wandou est une grande femme depuis son jeune âge.
C’est certainement le même caractère bien trempé et son infaillible enthousiasme 40 plus tard, qui lui a valu de recevoir, mercredi 1er décembre à Stockholm, le prix Nobel alternatif. Une récompense internationale pour cette juriste et militante camerounaise des droits des femmes, dont le travail auprès de filles de son pays depuis presque vingt-cinq ans a retenu l’attention de la fondation suédoise Right Livelihood.
Bien que toutes les régions du Cameroun peuvent être ignorantes et désinformées de l’action menée par la femme au grand cœur, deux régions à savoir le Nord et l’extrême Nord ne le sont pas pour autant. C’est d’ailleurs dans ces deux régions très peuplées et pauvres que 50 000 filles ont pu bénéficier de l’aide de son association, l’Aldepa, qui rayonne à partir de la ville de Maroua.
Action locale pour un développement participatif et autogéré (Aldepa) est un ensemble d’équipes qui vont chercher les fillettes dans leur foyer et convainquent pères, frères et maris de les envoyer à l’école, et de les y maintenir le plus longtemps possible. Une scolarisation qui a pour vertu, outre l’alphabétisation, de retarder les mariages et les grossesses précoces
« Une enfant de 13 ans n’est pas capable de satisfaire son époux, ni socialement ni sexuellement. Les hommes doivent le comprendre, précise simplement Marthe Wandou, sans se départir de son sourire. Leur faire faire des enfants à cet âge a des conséquences tragiques. »
Mais à force de sensibiliser et de mener ses actions concrètes c’est finalement toute la communauté, chefs traditionnels en tête, qui est enrôlée dans le processus : « Les religieux sont nos meilleurs alliés et, quand une fille réussit, les parents deviennent de véritables relais de confiance et communication.
Avec ses clubs de jeunes filles, l’Aldepa mène des actions d’autonomisation pour qu’elles deviennent les porte-parole de leur cause. Elle apporte également un soutien juridique aux familles dont les enfants n’ont pas d’état civil et aux femmes victimes de violences.
Accueillir, écouter et réparer sont également le but de Aldepa. La preuve en est que les réfugié(e)s et les victimes des malveillances et violences engendrées par la secte islamique Boko Haram depuis 2013 sont importants pour le groupe de Wandou Marthe
Alors l’Aldepa accueille, écoute, répare ces réfugiés « de l’intérieur ». « Beaucoup des survivantes de Boko Haram ont été privées de leur enfance. On leur réapprend à jouer, à rire, à danser, à chanter. Il leur faut retrouver le goût de vivre
Le prix Nobel alternatif qui lui est décerné est plus qu’une récompense honorifique. « Marthe est une pragmatique, souligne Alessandra Canova, de la fondation Right Livelihood. Elle veut utiliser l’opportunité de ce prix pour plaider pour une meilleure application des lois camerounaises. ». La lauréate estime qu’à travers elle, c’est toute son équipe qui est récompensée.
L’Aldepa est aujourd’hui partenaire d’une centaine d’écoles et emploie 65 personnes, « quasiment à parité ! », sans compter la cinquantaine d’animatrices et d’animateurs extérieurs. « Nous sommes tous galvanisés, confie Rachel Aminatou. Ce prix vient nous rappeler dans les moments de découragement que ce que nous faisons a une grande valeur. »