Battu par les flots, malgré la covid 19 qui a décalé à trois reprises son coup d’envoi, la saison culturelle Africa 2020 a résisté aux vents contraires grâce à la ténacité de son capitaine, la Sénégalaise N’Goné Fall. Quand l’épidémie a biffé tant de festivals du calendrier, cette opération panafricaine et pluridisciplinaire qui s’est achevé le 30 septembre a finalement tenu son pari : en l’espace de quelques mois, la France a regardé le monde d’un point de vue africain.
Emmanuel Macron, qui avait annoncé en 2017 le lancement de la saison, a visité le 30 septembre l’exposition du sculpteur ghanéen El Anatsui à la Conciergerie, à Paris.
Le budget mis en œuvre par l’Institut français s’est élevé à 11,25 millions d’euros, dont 6,6 millions alloués par le Comité des mécènes, des entreprises qui ont participé au financement du projet. Quoique complétée par les collectivités territoriales et des opérateurs privés, cette dotation était modeste au regard des 14 millions d’euros dont dispose par exemple le Festival d’Avignon pour trois semaines de spectacle.
Malgré tout, plus de 1 500 événements en arts, science et entrepreneuriat ont pu se tenir dans quelque 210 villes de France métropolitaine et d’outre-mer. « On a été dans la construction collective, se réjouit N’Goné Fall. Chacun s’est adapté et a trouvé des solutions B, C et Z. »
Reports en cascade
Plusieurs événements sont bien sûr tombés à l’eau. Sur les quinze quartiers généraux initialement prévus, trois ont été annulés, à Grenoble, Cayenne et Pointe-à-Pitre. Les reports en cascade ont aussi raccourci les festivités. A la Halle Tropisme de Montpellier, le programme initialement prévu sur deux mois s’est condensé en deux semaines. « On n’a pu garder que 40 % du projet », reconnaît son directeur, Vincent Cavaroc, qui se réjouit néanmoins d’un « raz-de-marée de 8 500 personnes, au-delà de nos espérances ». Au quartier général de Roubaix, installé du 21 avril au 25 juillet à la Condition publique, le directeur Jean-Christophe Levassor se félicite d’une « fréquentation record de 12 000 personnes en dix jours début juillet, soit la moitié du visitorat total sur trois mois « .
Les compteurs ne se sont pas emballés partout. A la Friche Belle de mai, QG marseillais, l’exposition « Stirring the pot », du Nigérian Emeka Ogboh (qui se tient jusqu’au 24 octobre), et les soirées musicales associées ont enregistré à ce jour 10 000 visiteurs quand les organisateurs en espéraient le double. « Mais ça reste un beau score pour l’art contemporain à l’échelle de Marseille », nuance l’une des partenaires, Véronique Collard-Bovy, directrice de l’association Fræme. L’exposition « Zone franche » de l’Institut des cultures d’islam (ICI), au QG de la Goutte d’or, à Paris, a aussi bâti des reports successifs. Mais son lancement en ligne dès le mois de février a attiré quelque 18 000 visiteurs virtuels.
Avec plus de 4 millions de visiteurs, la fréquentation de l’ensemble de la saison est d’ailleurs très honorable. N’Goné Fall l’admet, « en France l’offre est riche et avec le déconfinement du 20 mai, toutes les structures ont ouvert en même temps, ce qui a créé un embouteillage ». Certaines expositions jouent d’ailleurs les prolongations pour espérer trouver leur public. Ainsi de l’accrochage d’El Anatsui, prolongé jusqu’au 14 novembre à la Conciergerie.
« Une aventure humaine »
Autre bémol, les restrictions de circulation liées au Covid-19, qui ont pénalisé beaucoup d’artistes et de curateurs africains. Le Marocain Hicham Bouzid, codirecteur de la plateforme Think Tanger,
Le partenaire du QG de la Goutte d’or, n’a pu se rendre à l’inauguration de « Zone franche ». L’artiste congolais Vitshois Mwilambwe Bondo, qui était associé au QG de Montpellier, est resté sur le tarmac à Kinshasa. « Les services consulaires belges qui géraient les visas ne lui ont jamais donné le laissez-passer », se désole Vincent Cavaroc.
Malgré ces écueils, le bilan reste très positif pour la majorité des participants. « Nous avons abordé le projet en espérant des moments d’apprentissage mutuels et nous y sommes parvenus dans une large mesure », confie, satisfait, le curateur ghanéen Bernard Akoi-Jackson, associé au QG de Roubaix.
Directrice de l’ICI, Bérénice Saliou salue « une vraie aventure humaine ». Sa partenaire Marylin Douala Manga Bell, fondatrice du centre d’art Doual’art au Cameroun, abonde dans son sens : « On a vraiment inventé quelque chose, un partenariat où chacun était à sa place et complémentaire, sans efforts de séduction. » L’exposition « Zone franche » tournera d’ailleurs à Tanger et Douala. « On ne sait pas quand ni comment, mais on y tient », assure Marylin Douala Manga Bell.
Reste à voir si d’autres collaborations se poursuivront au-delà de cette saison. Quelques rapprochements commencent déjà à prendre forme. Un programme de résidence croisée est ainsi prévu entre la Halle Tropisme et la résidence Ifitry, de l’artiste et entrepreneur marocain Mostapha Romli, à Essaouira. Un partenariat de trois ans est aussi envisagé entre la salle de spectacle Le Grand T, à Nantes, les Récréâtrales de Ouagadougou et le festival Kinani, à Maputo. « Il faut réfléchir au long terme, au-delà de l’événementiel, martèle Véronique Collard-Bovy. Pour que le regard sur l’Afrique devienne un enjeu de politique territoriale. »