Plus on grandit, plus le monde dans lequel on évolue devient incertain (même si paradoxalement on a l’impression de mieux le maîtriser). Nos modèles probabilistes ne sont pas adaptés pour appréhender la complexité réelle du monde. Les lois de probabilités fonctionnent mieux au casino, au jeu de dé ou pour l’analyse de phénomènes naturels (efficacité de médicaments, lois physiques, etc.) que pour le monde social que nous avons créé (comme un de mes amis statisticien économiste le disait, c’est pour cela que la statistique descriptive est plus fiable que nos gros modèles économétriques qui ne donnent pas). Une raison à cela pourrait être que dans un jeu ou dans la nature, les règles du jeu sont relativement claires et ne changent pas (du moins, n’évoluent pas trop rapidement).
Dans la transition de l’adolescence à l’âge adulte, on ne se rend pas facilement compte des risques qu’on prend en se fiant juste aux conseils de nos parents ou ainés. Ils sont sincères, et leurs conseils de carrière fonctionnent relativement bien dans le monde qu’ils ont connus, mais le problème c’est que le monde évolue extrêmement vite : beaucoup plus vite qu’on ne semble le penser. Je pense qu’on n’utilise en général pas très bien la sagesse des ainés.
C’est pour cela qu’il devient de plus en plus difficile de se démarquer parce que les ‘carrières du futur’ évoluent plus vite qu’une seule personne ne pourrait l’appréhender. Ce n’est donc pas une bonne stratégie de courir derrière la dernière carrière à la mode.
Je suis toujours surpris lorsque de temps en temps des gens me contactent sur Facebook avec un message du genre : ‘Salut grand, je suis passionné par les sciences de données de l’intelligence Artificielle, et j’ai envie de travailler là-dedans ; penses-tu que c’est un domaine porteur ?’ Ce qui me surprend c’est : ‘Comment fait-il pour savoir qu’il est passionné par un domaine qu’il ne connait pas ?’ C’est presque comme s’il s’auto hypnotisait pour se convaincre qu’il aime ce domaine parce que tout le monde dit que c’est l’avenir. La réalité c’est que les grandes tendances ont toujours échappé aux paradigmes des sociétés pendant leur période d’essor – Je vais tenter de vous en convaincre.
Du coup, vu cette complexité du monde, je ne peux pas vous dire comment faire pour ‘contrôler’ les variables incertaines qu’on connait ou pire : les variables incertaines qu’on ne connait pas (qui n’existent pas au casino par exemple, mais qui sont très fréquentes dans notre monde social actuel). C’est très maladroit de vouloir résumer le monde réel avec une grille de morpion (oui, je parle bien de la théorie des jeux).
Ce que je vous propose ici, c’est plutôt de vous exposer une compétence réplicable (car non sociale) et qui permet de s’adapter rapidement au monde en évolution peu importe dans quel sens tourne le vent plutôt que d’être pris au dépourvu parce qu’on s’est trompé de choix.
Ou pour revenir sur l’analogie du garçon qui traverse la route : Je ne peux vous dire comment faire disparaitre les voitures qui passent aléatoirement, mais je peux vous proposer un modèle pour traverser la route sans avoir les yeux bandés.
I. Le problème avec la religion de l’entrepreneuriat
Il me semble qu’il y a quelques années, les influenceurs en entrepreneuriat n’avaient pas autant de visibilité qu’aujourd’hui (forcément j’ai aussi le biais du : ce que je vois c’est tout ce qui existe). Ceux qu’on voit aujourd’hui sont ceux qui ont survécu à la tendance. La plupart des autres constituent la majorité silencieuse qui sont au cimetière (difficile à évaluer, mais vous en connaissez peut-être dans votre entourage ?). Du coup, c’est compréhensible que les survivants pensent avoir mis le doigt sur la méthode secrète pour ‘réussir’ (si t’en est que ce terme ait un sens). C’est comme ça que vous avez beaucoup d’influenceurs très charismatiques qui donnent des règles à suivre sous forme de liste à cocher, pour ‘être comme eux’. Ce qui par contre ne signifie évidemment pas qu’ils soient incompétents dans leur domaine – Ils ne sont juste pas bien placés pour savoir pourquoi ils ont survécus.
En un sens, s’ils veulent que plus de personnes possèdent des business à succès pour favoriser le ‘progrès’, ils ont raison parce que statistiquement : plus il y aura de personnes dans la machine, plus il y aura de survivants (et de personnes au cimetière en passant). Et en réalité, c’est justement le décès prématuré de la plupart des entrepreneurs mort-nés qui renforce les survivants – Ce qui transforme la citation de Nietzsche : ‘Ce qui ne me tue pas me rend plus fort’ en : ‘Ce qui me tue rend un autre plus fort’.
C’est juste un peu malhonnête de présenter la situation comme s’il y avait une recette qui marche à tous les coups pour ‘prospérer’.
Par contre, j’ai du mal à croire qu’ils soient intrinsèquement / intentionnellement malhonnêtes. Sans doute ils sont juste pour la plupart embrigadés dans leurs schémas de pensées, et chaque nouveau survivant (de qui ils feront une interview) qu’ils rencontrent est pour eux une justification supplémentaire que ceux qui échouent font juste mal les choses ou bien ne sont pas très déterminées. Ceci vient en partie du fait que la culture entrepreneuriale contemporaine vient du monde du développement personnel.
- La culture entrepreneuriale contemporaine vient du développement personnel
Si vous allez dans une librairie ou sur Amazon pour acheter un livre du style : ‘Les 10 secrets pour devenir millionnaires avant 30 ans’ ; vous trouverez juste à côté ou en recommandation -en dehors des livres du même genre- des livres du style ‘Vous pouvez tout accomplir’.
Lorsque votre modèle mental de base est : ‘Vous pouvez tout accomplir’, cela est équivalent par contraposition à : ‘Si vous n’avez pas accompli, alors vous ne le voulez pas’ ou du moins ‘pas assez’ – La faute n’est jamais sur la croyance, mais toujours sur le croyant.
Et lorsqu’en plus vous êtes abreuvés en permanence de ce type de messages, et d’exemples de ‘succès’ qui expliquent comment ils ont fait, vous finissez par y croire en négligeant gravement que pour ce type spécifique de carrière -entrepreneuriale j’entends – les rares réussites ont trop de visibilités alors qu’en réalité les échecs définitifs -qui sont les évidences silencieuses- sont la norme.
Pour que vous visualisez bien le caractère absurde que je veux mettre à jour, faisons une petite expérience de pensée :
Supposez qu’à partir de lundi prochain, chaque jour vous regardez une vidéo d’une personne qui a gagné au loto -et qui bien sûr va nous expliquer les risques intelligents et ‘calculés’ qu’elle a pris.
Chaque jour de visionnage de vidéo qui passe est une confirmation supplémentaire qu’avec une bonne stratégie, on peut gagner au loto : Certains vous dirons qu’ils achètent 100 billets par jour, d’autres qu’ils utilisent le même numéro chaque jour, d’autres qu’ils étudient les statistiques, etc. Vous finissez par être persuadé que c’est la voie à suivre pour prospérer. Surtout si le récit est attaché à une valeur forte qui vous avez intrinsèquement (Afrique, le respect, l’écologie, l’amour, etc.).
Attention, je ne suis pas en train de réduire l’entrepreneuriat au loto, il y a quand même un peu plus de déterminisme que ça dans l’entrepreneuriat (c’est la deuxième partie de ce post). Au final, quelqu’un qui veut être entrepreneur doit apprendre à concevoir un produit ou service, et à le vendre. Il y a un travail à faire pour être sur la ligne de départ.
Par contre, c’est un leurre de penser qu’avec une recette magique tout le monde prospèrerait (ce qui est une contradiction dans les termes).
- Le problème de la scalabilité
Je m’étais laissé séduire un jour par le concept de Business scalable. Il s’agit de Business comme Uber, la vente de livre, Amazon, Webmarketing, etc.
L’idée de base c’est celui d’un Business en automatique où pour une seule unité d’effort, vous avez des résultats qui se multiplient (on dit qui scalent).
C’est ce qui a donné lieu au fantasme des métiers où vous gagnez de l’argent en dormant.
En économie, pour les produits industriels (produits en gros), on parle plutôt d’économies d’échelles.
En face de cela, vous avez des métiers qui ne scalent pas comme : l’enseignement, la médecine, la prostitution, le coaching, etc. Où chaque unité de gain que vous avez provient directement d’une heure de travail.
Les Business qui scalent sont beaux sur le papier, mais ont le gros désavantages qu’il faille déjà être connu pour qu’ils aient un vrai effet de levier important (à moins d’avoir un niveau de chance incroyable que Nassim Taleb appelle des Cygnes Noirs).
Si vous avez la force de travail nécessaire, c’est intéressant d’effectuer en priorité un Business non scalable et en parallèle dans vos temps libres un Business scalable ; et de passer intégralement au scalable si jamais ce dernier prospère un jour.
Mais si vous n’avez le choix que de l’un des deux, je dirais que c’est préférable d’opter pour un Business (ou un métier) non scalable car il est beaucoup plus robuste. En effet, si vous êtes un travailleur qualifié, vous allez travailler pour un entrepreneur qui a pris tout le risque sur lui. S’il échoue, son monde s’écroule et c’est dramatique… Mais vous, vous pouvez aller ailleurs ! Cela prend beaucoup moins de temps de retrouver du travail lorsqu’on le cherche activement, que de retrouver un niveau de réussite entrepreneuriale avec un autre Business (qui n’arrivera peut-être jamais).
Certains se jettent dans le vide en ‘brûlant les bateaux’ en se disant: ‘c’est tout ou rien’, ‘je vais réussir, je vais réussir, je vais réussir’; ‘je ne dois pas être négatif’, ‘tout est possible à celui qui croit’. Mais comme dit en introduction, c’est juste parce qu’ils n’ont pas une idée réelle des risques qu’ils prennent. Pour quelqu’un qui veut être entrepreneur, une carrière est hybride est plus adaptée.
- Un nouveau type de carrière
Vous avez sans doute remarqué l’amalgame que je fais à dessein entre les concepts de : Business, entrepreneuriat, métier. C’est fait exprès. En effet, je crois que si on veut à la fois ne pas être un pigeon du système, et à la fois pas à la merci des cygnes noirs ; le meilleur type de carrière sort du vocabulaire habituel. Au choix, le terme auto-entrepreneur-individuel serait plus adapté. Le problème de ce terme, c’est qu’il ne rend pas apparent que des compétences en enseignement, en programmation, en design, etc. peuvent être regroupées aussi sous cette catégorie.
Je préfère donc en fait oublier tout simplement les étiquettes. Dans ce contexte, quoi répondre à la question fatidique : ‘Que faites-vous dans la vie ?’ Si on a plusieurs casquettes, on peut répondre à cette question par la carrière la plus adaptée au contexte dans lequel la question est posée. Ou tout simplement, au lieu de se casser la tête à expliquer ce que vous faites, vous pouvez dire que vous êtes serveur au McDo ou bien chauffeur de limousine si vous voulez la paix.
Ce type de carrière que vous serez alors le seul au monde à faire – parce que vous l’aurez bâtie de vos propres mains- ne peut être viable que si vous être capable d’apprendre rapidement de nouveaux concepts compliqués.
II. Le travail en profondeur : La compétence robuste
L’auteur américain Cal Newport a fait dans le livre Deep Work la remarque qu’il y a paradoxalement deux phénomènes opposés qui se déroulent actuellement au même moment.
D’une part, la capacité à se concentrer en profondeur devient de plus en plus rare -à cause de la prédation des réseaux sociaux.
D’autre part, cette capacité n’a jamais eu autant de valeur.
Ce qui fait la rareté d’une compétence c’est le nombre d’heure de travail profond nécessaire à un novice pour produire un travail de qualité similaire.
- Tout le monde peut créer une page Facebook
C’est techniquement simple de créer une page Facebook. Dès demain, je peux ouvrir une page et commencer à vendre des chaussures.
Par contre, être capable par exemple de concevoir des systèmes de distributions innovants ; ou de programmer un jeu vidéo fonctionnel demandera au moins 6 mois de travail acharné pour quelqu’un qui n’a jamais ouvert un ordinateur de sa vie.
- Le travail en profondeur : Unité de mesure de la rareté
Ce qui fait la valeur d’une compétence, c’est le nombre d’heures de travail en profondeur nécessaire à un novice pour produire un travail de qualité similaire. Peu importe l’ingéniosité d’un nouveau concept, s’il fonctionne et que la mise en place est simple, alors il sera copié – Puisque les autres qui verront l’idée se diront qu’ils n’ont pas besoin de son propriétaire pour la répliquer (Il vous suffit de regarder le nombre de pages Business Facebook de vos amis pour vous en convaincre).
Les idées en elles même n’ont pas de grande valeur, parce qu’elles sont facilement réplicables : Il me suffit de partager une idée pour qu’elle ne m’appartienne plus. Par contre, je ne peux pas décider de devenir ingénieur demain matin. Je comprends qu’on puisse être attaché à des idées au point de vouloir les cacher pour qu’elles ne soient pas volées ; mais en réalité, cela signifie juste qu’on n’a pas -ou pas encore – de compétences suffisamment rares qui y sont attachée et qui fait qu’on soit la personne indiquée pour porter cette idée. Ce niveau de compétence minimal sera la barrière d’entrée pour tous ceux qui voudront copier l’idée.
Dans ce sens -et j’en suis désolé- vous comprenez que si vous avez eu une idée : aussi révolutionnaire pensez-vous qu’elle puisse être, elle ne vaut rien. Parce qu’au final, le prix ne dépend vraiment que de l’offre et de la demande.
Vous ne pouvez pas jouer sur la demande, et en réalité l’un des plus gros enjeux de l’entrepreneuriat c’est d’essayer de comprendre la dynamique de cette demande en répondant aux deux questions :
- Qu’est-ce que les gens veulent au point d’être prêt à payer pour ? -les ‘bravos’ ou la popularité d’un concept ne sont pas signe de la demande – : Il faut savoir si les gens sont prêts à décaisser des cacahuètes pour.
- Comment acheminer mon produit à ladite demande : Ici c’est la stratégie à adopter pour répondre au besoin de ce qu’on appelle le marché.
Dans beaucoup de marchés (en dehors de quelques-uns comme le marché du travail) vous avez déjà un gros qui est installé et qui prend toute la place ; et la grande majorité des autres acteurs sont des petits qui essayent de survivre (et meurent en général).
Pour se démarquer avec un produit de qualité, il faut prioritairement travailler sur l’offre. Et pour cela, vous avez en gros deux possibilités : Soit vous devenez un technicien ULTRA qualifié qui travaille pour les gros. Soit, vous identifiez une tendance spécifique et porteuse que tous les autres négligent ; et vous vous imposez comme la Superstar de ce mouvement.
Et pour chacune de ces deux possibilités, vous avez besoin de devenir plus compétent : pas d’avoir eu l’idée du siècle ; mais devenir vraiment bon dans quelque chose. C’est-à-dire atteindre un niveau où il ne faut pas juste du courage pour reproduire le même niveau de qualité de travail que vous ; mais un niveau où pour faire la même chose que vous il faut des heures, voire des mois, voire des années de travail intense.
Et pour se faire, vous devez maitriser les codes du travail en profondeur.
- Le travail en profondeur est rare
Une grosse erreur que les gens font lorsqu’on parle de travail en profondeur est de s’imaginer qu’il s’agit juste d’un travail sans la perturbation des réseaux sociaux. Le travail en profondeur est plus complexe que ça : c’est un art.
Il s’agit d’un état de concentration dans lequel les facultés intellectuelles sont poussées à leurs limites. C’est ce qu’on appelle aussi en psychologie le flow ; ou de manière plus péjorative, la zone. J’en parlais déjà dans mon livre Le Kit de Survie : Tous les étudiants ont déjà connu cet état. Il survient en général pour la plupart, soit à la veille des examens, soit à l’approche des deadline pour des présentations ou mémoires.
Imaginez le niveau d’expertise qu’une personne pourrait achever si elle était assez régulièrement dans cet état de flow.
C’est un état rare, et les deux dernières décennies de recherches en psychologie et en neurosciences cognitives ont assez bien établis deux faits :
- On a droit à un capital d’environ 4h de flow par jour à moins d’une surstimulation extérieure comme les examens ou des deadline.
- Cet état de tension mentale est nécessaire au progrès réel dans les disciplines : en particulier les métiers du savoir.
Il semble que le rôle de cet état de flow soit de frayer le chemin pour les neurones spécialistes de la discipline qu’on entraine. Une substance appelée la myéline se développe de plus en plus autour des neurones experts et leurs confère ainsi ‘la parole’ avec pour conséquence de permettre aux circuits concernés de se déclencher plus facilement et plus efficacement.
- Comment devenir vraiment bon
Une fois qu’on est d’accord avec l’idée de la grande valeur du travail profond, c’est légitime de se poser la question : Pourquoi aurait-on besoin d’une machinerie complexe pour vivre une vie plus concentrée ? La volonté ne suffit-elle pas pour en faire plus ?
C’est justement l’une des choses qui m’ennuie le plus avec le mouvement du développement personnel : La volonté est mise sur un piédestal!
Interrogeons-nous véritablement sur la question : qu’est ce qui fait en sorte qu’on préfère des tâches plus superficielles ?
En réalité, on passe déjà toute la journée à combattre nos désirs : manger, dormir, aller sur Facebook, voir un film, etc. Notre cerveau est optimisé pour préférer des récompenses à des actions menées immédiatement. Ce qui n’est malheureusement plus compatible avec notre monde actuel dans lequel la récompense pour l’effort d’étudier maintenant est perçue en fin d’année lors de la remise des diplômes.
Pour vraiment vivre le travail profond au quotidien, il faut aller au-delà des bonnes résolutions et véritablement construire un système qui ne combat pas nos biais, mais les contourne. Si ce genre de programme vous intéresse, inscrivez-vous tout de suite à la liste email. Je vous préviendrais des cours de productivité que j’organiserais. Ce ne sont pas des séquences automatiques : quand un mail est envoyé, il n’est pas recyclé pour être renvoyé plus tard : Il est perdu à tout jamais.
III. La sérendipité : Être rare ne suffit pas
J’ai une mauvaise nouvelle : Il y a également beaucoup de personnes très compétentes au cimetière ; ou du moins, pas sur la place publique. Si vous trouvez que ce blog est plus profond que la plupart des autres contenus qui passent, alors vous avez un premier exemple de ce fait.
S’il advient que ce blog se popularise par une succession d’évènements imprévisibles, alors je vous promets de ne jamais écrire d’article du style : ‘Comment tenir un blog à succès ?’ Parce que je sais pertinemment que ce serait un évènement rare et non prévu : Ce qui ne m’empêche pas par contre d’écrire des articles de meilleure qualité. Vous voyez qu’il peut y avoir une compétence rare, mais qui ne se démarque pas.
Mais, laissons le cas d’internet pour le moment qui est autrement plus complexe. Prenons le cas d’un boutiquier.
Les meilleures boulangeries ou boutiques sont rarement situées au carrefour ou en plein centre-ville (à moins d’être entourés par des tas d’autres qui lui font concurrence). Le meilleur Kossam/Dakeré que je n’ai jamais goutté par exemple était au fin fond d’un quartier reculé dans lequel personne n’ira jamais. C’est parce que si vous n’avez pas l’avantage d’avoir une visibilité incroyable et gratuite, vous êtes obligé de travailler sur la qualité pour survivre.
En revanche, cela ne signifie pas qu’il n’y a aucun moyen d’utiliser cet aléa pour espérer se démarquer. Nassim Taleb a introduit le concept d’anti fragilité. Il s’agit de systèmes qui se renforcent avec l’aléa. Les systèmes vivants par exemple sont anti fragiles. Ce qui fait que quelques gouttes de poisons rend le métabolisme plus résistant au poison.
Dans les métiers du savoir, les innovations proviennent rarement des domaines en eux même, mais souvent des rencontres fortuites et non programmées avec des domaines qui n’ont souvent rien à voir : Être généraliste -même comme beaucoup de gens trouvent que c’est se disperser- est plus anti fragile qu’être spécialiste.
- Les innovations sont des accidents
Lorsque la voiture avait été popularisée par Ford, tout le monde pensais que l’étape évidente d’après c’était que dans les années 2000 on verra partout des voitures volantes. Il vous suffit de regarder les films et dessins animés de cette période là pour vous rendre compte de cette tendance.
Je prends cet exemple que vous trouvez sans doute absurde aujourd’hui exprès parce que je suis certain que vous allez probablement douter du prochain : L’intelligence Artificielle.
Beaucoup de conjectures actuelles promettent qu’on se rapprocherait d’un monde où les machines remplaceront les hommes. Vous voyez ça avec la tendance amenée par des films comme Matrix ou Terminator – même s’il est vrai que les réalisateurs trouvent de plus en plus ces scénarios ringards et retournent de plus en plus sur des scénarios avec des futurs plus écologiques.
Moi aussi, j’ai été pendant longtemps convaincu que les métiers du futur seront quasi intégralement ceux avec une utilisation accrue de l’IA. Mais, plus le temps passe, plus je deviens sceptique de ce futur qu’on nous promet avec la proéminence des métiers liés à l’IA. Peut-être même plutôt qu’au contraire l’IA nous forcera à redéfinir la notion d’intelligence, et nous tourner vers / inventer des métiers de plus en plus humains et que l’IA fait très mal (comme l’art, la philosophie, la science, etc.).
Il semble que la technologie se comporte comme un système vivant avec une volonté propre et indépendante de l’espèce dont elle est issue (à savoir nous, Sapiens). L’une des caractéristiques des systèmes vivants est leur caractère imprédictible. Et les prochaines révolutions technologiques échappent sans doute à nos paradigmes actuels.
Prenez les 3 dernières plus grosses révolutions technologiques en date : L’ordinateur, Internet, le Laser. Toutes les 3 qui sont considérées comme évidentes aujourd’hui étaient au moment de leur apparition à la fois non planifiées, non prévues, et pronostiquées comme inintéressantes.
Elles étaient toutes le fruit de rencontres inopportunes et hasardeuses.
Quand je dis ça, on me demande immédiatement après : ‘Si l’IA n’est pas le futur du monde, quelle est la prochaine révolution ?’ Ma réponse est : ‘Je ne sais pas’. Et en fait, sans doute la nouvelle révolution est déjà là, mais comme pour le cas d’internet à l’époque, on se dit que c’est inutile. Peut-être même l’auteur de cette révolution est entrain de lire cette publication qui sait…
Ceux qui ont une stratégie de carrière où persuadés de connaitre l’avenir, s’y engouffrent en mettant tous leurs œufs dans le même panier sont plus fragiles que ceux qui reconnaissent ne pas connaitre le futur, mais cherchent à développer des systèmes adaptables qui peuvent profiter des crises.
Le point à retenir ici c’est juste que la multiplication des rencontres et discussions avec des inconnus sur ses sujets de travail augmente la volatilité et multiplie les chances de faire féconder un projet, ou mieux de le transformer en une nouvelle révolution.
- On ne peut juste pas prédire, mais…
Attention, on pourrait dire que je me contredis lorsqu’à la fois je dis que la plupart de ceux qui promettent des méthodes pour ‘réussir’ ont tort ; et qu’en parallèle moi-même je dis qu’il y a moyens de devenir plus compétent. Pourquoi dans un cas, ça marcherait, et pas dans l’autre ?
C’est très légitime et éthique comme question, aussi parce qu’il y a aussi le biais du ‘biais du survivant’ où les gens utilisent le biais du survivant comme justification de la paresse.
En fait, il faut bien comprendre qu’il y a deux catégories de phénomènes différents, et deux catégories d’experts respectifs : Il y a une différence fondamentale à faire entre ce qui change et ce qui ne change pas.
- Les phénomènes réplicables : Ils appartiennent au domaine des sciences pures. Par exemple : l’astronomie, la biologie, les mathématiques (lorsqu’elles sont pures et ne cherchent pas à résoudre des problèmes sociaux), la programmation, la physique, les neurosciences, l’analyse assurance, la chimie, la juridiction de terrain, l’ingénierie, la photographie, les échecs, etc.
- Les phénomènes non réplicables : Ils appartiennent généralement au domaine des sciences sociales. Par exemple : la psychologie clinique, l’entrepreneuriat, la sociologie, l’économie, la psychiatrie, l’analyse de QI, les sciences politiques, l’expertise du risque, etc.
Evidemment, cette distinction ne vient pas de moi, vous avez toute une littérature qui s’intéresse au problème des experts et des faux experts. Nassim Taleb en parle dans son livre: The Black Swan – Il utilise de manière un peu provocatrice l’expression ‘Vestes Vides’ pour désigner les pseudos experts qui sont à la fois incompétents, et ignorants de leur incompétence.
Dans le premier type de domaine, les capacités de prédictions des experts sont réelles.
Dans le deuxième type de domaine, dans plusieurs cas les experts prédisent moins bien qu’une personne prise au hasard (malgré leurs gros modèles).
Attention, cela ne signifie pas que les sciences sociales soient inintéressantes à étudier. Le problème des experts se situe surtout au niveau du potentiel de prévision des évènements importants. Lorsqu’elles se confinent à de la description, elles restent très intéressantes.
Le problème n’est pas au niveau de la qualité des études -qui peuvent avoir des niveaux de difficulté similaires. Le problème est que les sciences sociales baignent dans un monde beaucoup trop incertain et complexe pour nous ; et en quelque sorte, les sciences pures se cachent derrière le fait qu’ils prennent assez peu de risque au final.
Un exemple de ça c’est dans la série Scorpion. Happy est une surdouée au QI de 184. Elle est une mécanicienne hors pair et maitrise à la perfection les lois de la physique. Un jour, en étant sur le toit d’un immeuble, elle fait le pari de concevoir un avion en papier qui va tomber pile sur une fleur située de l’autre côté, en bas à 100 m.
Elle construit son papier et a tout calibré aux petits oignons. Le moment fatidique, elle lance son papier et esquisse un léger sourire parce qu’elle a confiance en la physique et en l’aérodynamique de son joujou.
L’avion s’envole, suit sa course…
Et puis, paf, un camion passe et stoppe la course de l’aéronef. Happy perd le pari.
C’est la différence entre les sciences pures et les sciences sociales : Dans les sciences pures, pour beaucoup de systèmes, la volatilité est ‘contrôlable’. Dans les sciences sociales, les valeurs aberrantes sont la norme. C’est de là qu’est tirée la blague : ‘Q : Quelle est la différence entre la théorie et la pratique ? R : En théorie, il n’y a pas de différence, mais en pratique si…. ’.
Si vous avez à choisir des compétences que vous voulez développer, il est plus sûr de choisir des compétences réplicables, que des compétences volatiles – qui cachent les évènements rares.
Le travail profond est une compétence réplicable, et selon moi c’est la compétence la plus importante de ce siècle.
- Exposer une œuvre d’art au centre-ville plutôt qu’au sous-sol
Pour finir, une fois que par le travail profond une autre compétence rare a été développée ; en parler autour de soi -Et si le budget permet, le faire connaitre au plus grand nombre par les réseaux sociaux- c’est un moyen efficace de se démarquer dans un monde de plus en plus compétitif par la qualité de son travail.
Bibliographie :
Nassim Nicola Taleb : The Black Swan.
Cal Newport : Deep Work.