L’évènement revêt cette année une symbolique particulière. Normal, car il se tient un an après le décès du sultan Ibrahim Mbombo Njoya figure incontournable de la vie politique camerounaise, avec à la clé 29 années de règne et une longue amitié avec le président Paul Biya. Le Nguon édition 2022 est aussi le premier anniversaire de l’accession au trône de son successeur, son fils, le nouveau sultan-roi des Bamouns, Nabil Mbombo Njoya. Il s’agit donc de treize journées de rencontres culturelles, spirituelles, festives, gastronomiques et économiques qui puisent leurs origines au XIVe siècle.
L’une des mémoires de la culture bamoun est Nji Oumarou Nchare. Depuis ses 15 ans, il travaille au Palais de Foumban et est aujourd’hui âgé de 59 ans.
Aujourd’hui directeur de l’administration et de la culture auprès du nouveau sultan, Nabil Mbombo Njoya, il fut aussi le collaborateur de son père, le défunt Ibrahim Mbombo Njoya, et de son grand-père, Seidou Njimoluh Njoya. « Le Nguon, explique-t-il, c’est la plus grande instance traditionnelle et culturelle du peuple bamoun, instauré par le roi Nchare Yen en 1394. Le Nguon était convoqué à l’époque pendant la période de récolte. C’était une occasion pour le peuple bamoun venu de toutes les contrées du royaume d’exhiber au palais les meilleurs produits de son labeur ».
le royaume bamoun est l’exemple type du vivre ensemble tant prôné au Cameroun. Ici, le roi redistribue Maïs, tomates, poissons…entre autres denrées pour que chacun mange à sa faim. Il stocke dans ses greniers les excédents en prévision des périodes de disette.
Cette fonction rassembleuse et régulatrice du Nguon s’exprime dans un autre temps fort du rassemblement, « le jugement du roi ». À cette occasion, les Mfonanguon, les représentants du peuple qui ont parcouru tout le royaume pour recueillir les doléances des habitants, ont exceptionnellement le droit de dire au roi ce que ses sujets pensent de lui.
« Ce jour-là, raconte Nji Oumarou Nchare, le ministre de la Justice du royaume vient planter devant le roi la lance de justice qui lève l’immunité royale et qui permet aux membres de l’assemblée de dire ce qu’ils pensent. Lorsque l’immunité du roi est levée, le roi se met debout pour être à l’écoute du peuple représenté par l’Assemblée. Elle comporte 113 membres aujourd’hui. Ils passent l’un après l’autre devant le roi, prennent la parole pour dire au roi ce que le peuple pense de lui. On dénonce tout devant le roi debout ».
Pour Moussa Njoya, politologue, juriste et biographe du défunt sultan Ibrahim Mbombo Njoya, il faut aussi comprendre le Nguon comme un moyen de dépasser les divisions au sein du peuple bamoun. « Ontologiquement, le Nguon a été conçu en 1394 comme un moment de réconciliation. Parce qu’il faut savoir que le peuple bamoun, à la base, c’est plusieurs peuples qui ont été vassalisés par Nchare Yen et ses compagnons lors de conquêtes et d’annexions territoriales. Donc il a fallu créer cette instance-là pour renforcer la cohésion sociale, entre les Bamouns d’une part, et entre les Bamouns et leur souverain d’autre pas ».
En rappel, en 1924, le Nguon a été interdit par l’administration coloniale française qui trouvait alors que le rassemblement donnait trop de poids au sultan. Il a fallu attendre le début des années 90 pour que l’évènement soit vraiment relancé par le sultan Ibrahim Mbombo Njoya. « Il organise alors ce rassemblement pour commémorer le premier anniversaire du décès de son père, mais c’est aussi un contexte particulier, celui des années de braise, rappelle Moussa Njoya, son biographe. Quand le sultan Ibrahim Mbombo Njoya monte sur le trône, il est ministre dans le gouvernement du président Paul Biya, il est membre du bureau politique du RDPC [le parti majoritaire au Cameroun, NDLR], c’est un cacique du régime. » La société bamoun est alors profondément divisée entre pro-RDPC et partisans du parti d’opposition UDC. « Le sultan-roi aura cette inspiration de relancer le Nguon afin de trouver un cadre transpartisan, transreligieux qui puissent réunir tous les Bamouns sans distinction ».
Cependant, il faut signaler que popularité du Nguon ne rime pas toujours avec succès politique. « Les Bamouns font la part des choses entre domaine traditionnel et domaine républicain », estime Moussa Njoya. « Il y a eu des éditions du Nguon très courues comme celle de 1994, cela n’a pas empêché que le sultan ne remporte pas la victoire lors des législatives de 1996 ».
Et parce qu’il est coûteux, le Nguon est organisé tous les deux ans. Il est donc à la fois un rendez-vous culturel, spirituel, traditionnel, économique. Le Cameroun a déposé un dossier cette année à l’Unesco pour que le Nguon soit inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité.